Are Mokkelbost et Espen Hangård sont deux noms qui devraient vous parler - mais qui très certainement ne vous disent rien quand bien même vous tendez l'oreille. D'une part car un nom ne parle pas, mais surtout parce que derrière ces jolis apparats nordiques se cachent Single Unit et Altaar, noms qui cette fois doivent faire vibrer votre lobe temporal latéral. Eux et deux autres fous s'associent, et voici venu le temps, non pas de l'île aux enfants, mais de l'une des plus grandes boucheries de l'histoire de la Norvège.
Voici une crise d'épilepsie façon maison, et en direct s'il vous plait - mes aïeux, il s'agit ici d'un live ! Pourtant ne comportant que les bases classiques du Metal (guitares, basse, batterie, synthé), à la sortie, plus rien d'un nième groupe de Death / Black. C'est la terreur, la grand Peur! Un gigantesque coup de tatane dans les cervicales d'un gentilhomme qui n'avait pourtant rien demandé de tel.
Cette alchimie aussi puissante qu'extravagante brisera la canne des plus vieux et les jambes des plus jeunes. C'est même tellement écrasant que la chose procure à la première écoute l'effet tube de dentifrice : cette sensation étrange qu'est celle de se faire écraser par un rouleau compresseur. Votre tête fera office de bouchon, parée à sauter pour laisser s'échapper les organes pressés par le rouleau comme vos doigts sur le tube. La grande différence entre KILLL et ce tube de dentifrice au sort peu enviable est qu'au lieu de s'écouler sur une brosse à dents, celui-ci s'écoule partout, sans discontinuer, en prenant pour épicentre du séisme qu'il provoque votre mince cervelle. Là où l'on pourrait trouver un autre point commun avec le tube de dentifrice, c'est au niveau de la fabrication. En effet, le style "cascade de sons" de notre raffiné quatuor trouve son alter ego dans la production industrielle en chaîne de notre pâte fluorée préférée. Tous deux se délivrent par flots, de manière oppressante et calculée, sans que la question de compromis n'ait même besoin de se poser. La violence froide indus apposée sur un Death Metal bon pour les dents.
Alors voilà, KILLL c'est une moissonneuse-batteuse sous acide.* Les rythmes tantôt Dødheimsgard-iens tantôt cotonneux comme un feat. de Darkspace sur le Loveless de My Bloody Valentine (RID), c'est bien joli pour se remettre notre nuque pétée en place après trop de headbang je vous l'accorde, mais quid d'Are Mokkelbost et de tout le bordel qu'il trimballe ? Car du coup, non content de faire couler le maquillage de votre chérie et de forcer votre voisin croyant-pratiquant à fuir dans son bunker en Suisse, le bougre de monstre est tartiné d'un tel synthé qu'il t'en pousserait Jean-Michel Jarre au suicide. Il faut dire que le groupe n'est pas non plus dénué d'humour. Malgré l'hybridation flippante qu'ils ont créés, les norvégiens s'amusent comme à faire un Expo '70 violé par du Death Metal, à placer un genre d'orgue religieux sorti de nulle part, ou encore à terroriser la foule avec leurs stroboscopes de drogués... il y a de quoi faire.
La machine rampe, les gestes saccadés et des-humanisés par quelques aliens tout droit sortis des années '50 aux pistolets laser bien accordés. Tout ce bordel là nous regarde et sourit, et nous aussi, on sourit, crispé, captivé, tétanisé. WAL, avant-dernière chanson, est le blast primaire qui souffle vos organes pour de bon. C'est les oreilles ensanglantées, mais aussi la bouche et les yeux rouges, que l'on termine l'album. En souriant, qui plus est, du trip drôlement malsain et extatique que délivre KILLL avec cet album d’anthologie.
* : Attention, name-dropping intempestif
KILLL ressemble en fait à un Shining (le groupe de "jazz", norvégien lui-aussi) avec, bien-sûr, leur propre patte. Les relents électroniques sortis de chez Single Unit sur fond de metal hypnotique et minimaliste font mouche, laissant une musique carrée et réfléchie où l'aléatoire garde tout de même ses droits.
Le personnage de Mokkelbost vaut aussi le coup d'oeil, voici une interview sur killl.org
Merci à Aes pour cette découverte, de qui je reprendrai ces mots pleins de sagesse :
"KILLL, ça tue."
Notons que les deux autres fous sont d'une part le frère d'Are à la guitare et Martin Horntveth (qui traîne un peu partout dans le monde de l'électro-jazz norvégien quand il ne joue pas avec Jaga Jazzist) à la batterie. Avec ce dernier, je recommande également Great Curves de Rotoscope, qui fait partie des productions injustement oubliées de Jester Records alors qu'il y a quand même le gratin de l'électro-jazz norvégien (je ne vous fais pas le détail) qui semble vouloir faire comprendre que les ambiances lounge, ça commence à bien faire. C'est un curieux mélange des cuivres et anches cotonneux à la Jaga Jazzist torpillés au free jazz vengeur, de "songwriting féminin nordique" et d'électro/loop/noise/WTF assez erratique. Bon, ça reste loin d'un KILLL au niveau barré, mais ça vaut quand même l'écoute.
RépondreSupprimerDeneb, toujours au top de l'actu !
RépondreSupprimerC'est vrai que Rotoscope passe souvent aux oubliettes (c'est sans parler de Martin Horntveth qui pour le coup ne me disait rien du tout avant KILLL), mais à tort, tu as raison (haha).
Quant à l'électro-jazz nordique, c'est une scène sur laquelle il faut vraiment que je me penche. Pourtant très éloigné à première vue de leurs "origines" musicales (quoi que, tu serais plus précis que moi là-dessus), ils ont une tripotée de musiciens très talentueux. En passant - car c'est étroitement lié - je te conseille le Höhlenmusik Ensemble !
A bientôt sur la LOGE.