Malgré le fait que j'écrive en ces terres sur la musique qui, à mes oreilles, me semble la plus belle, me remémorer la dernière fois qu'un disque m'a fait frissonner n'a pas été complexe. Cette sensation singulière où chaque mélodie résonne comme si elle venait de mon propre schéma mental dérangé remonte à il y a maintenant trois ans lors de ma découverte de Murmuüre. J'ai aujourd'hui peine à me contenir après avoir découvert Stara Rzeka qui, sans prétention aucune, se trouve être au gré des hasards et des atomes crochus l'une des très rares pièces avec laquelle je suis rentré en symbiose.
« Au milieu du chemin de notre vie/ Je me retrouvai dans une forêt obscure/ Car la voie droite était perdue. » (Dante, Divina Commedia)
Dans les cœurs de cette nuit purgée entre deux eaux reflets Charon à l'odeur de l'homme s'allongent les berges du delta. Aux enfants de froid du dehors, le glaçage de rires trempés fit prendre à la route baignée de feuilles vert sombre son éclat d'absence. La torche encore au corridor mouillé nocturne du voyage se désagrège alors que je fonce dans l'abstrait. Tout s’assombrit de lumière matinale, ah la délicieuse nausée ! Les voies s’entrecroisent dans le néant des directions. La première aube d'une hémisphère extravagante wagnérienne, la tragédienne se hausse comme l'écume s'agrippe à la vague. Ancien temps draconique de paroles puissantes où le silence poussait dans les gorges. L'ancien enfant père du fils file à jamais unique aux cœurs dégoulinants. Ah l'immonde des verdures, cris escarpés et airs en sens inverse! Du fer et de ses âges viennent au monde les beautés fines d'altitude, mortes et enterrées dans l'or passé. À jamais, Épigone.
Stara Rzeka fait office de modèle à suivre, pour tous ces épigones, justement. Kuba Ziołek, maître à bord dont j'avais déjà parlé ici car il tient le label Milieu L'Acéphale et joue notamment dans l'Innercity Ensemble, sort ce "Sombres nuages au-dessus d'un champ caché". Le disque est une tension entre les genres peu commune, la folk qui se laisse soudainement porter par un beat électronique presque Berlin School pour finir sur du Black Metal - on s'y laisse bercer comme par un courant. Ce Black Metal en lui-même extrêmement intense - deux pistes seulement - laisse une place à un psychédélique condensé. La sagesse a été de placer ces passages au début de l'album, laissant le reste mariner, respirer, l'auditeur encore dans le bain de cette condensation de métal noir.
Le groupe semble aussi être le métier à tisser de Ziołek, tant les pistes sont changeantes et peuvent passer de black à folk éthérée, ou d'électronique rassurante à drone abyssal en quelques secondes. On croirait un organisme en constante évolution, quelque chose de très rapide, de terriblement naturel - dans l'ordre des choses. "Cień chmury nad ukrytym polem" incarne un style de paganisme technologique, une belle bestialité - non dans le sens brutalité mais instinctif. Une magnifique coïncidence, mélange de traditions et de pensées, bouleversante aussi bien que finement interprété. Un son recherché, foulé, et une approche singulière - que l'artiste nomme brutalisme magique. Entre lectures de Hölderlin et reprise de Nico avec un "My Only Child" de douze minutes, qui en réalité ne garde que la puissance des paroles de la chanson et en change radicalement l'instrumentation, c'est l'antithèse de la monotonie qui prime. Coloré, étrange, et pourquoi cette chanson de Nico ? Kuba répond : "La raison pour laquelle elle me séduit, c'est que cette chanson est celle de la douleur d'une Europe, une Europe vieille, fatiguée, au-delà de l'histoire, lasse des guerres, lasse de
tous ces idéaux et de ces projets qui n'ont pas pu être réalisés."
Stara Rzeka atteint avec son premier disque une qualité supérieure à celle de beaucoup de projets musicaux en une carrière. Le Brutalisme Magique et l'Absolu.
Version cassette (deux pistes différentes du CD) chez Few Quiet People
CD deluxe chez Instant Classic
Sortie en avril - voici un joli trailer
Écoutez, séduisez-vous, c'est sûrement l'une des plus belles choses que vous entendrez.
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